New public management : quelles alternatives pour l’encadrement ?

Loin de s’arc-bouter sur une vision poussiéreuse de la fonction publique, les intervenants dénoncent une vision du travail et du service public qui s’impose sans aucune considération pour les réalités du travail, sans consultation des agents concernés par les restructurations.

Jan Martin, magistrat administratif, ancien élève de l’Ena, a suivi une formation en new public management. Il détaille comment l’idéologie et les pratiques du management le plus libéral ont imprégné les cursus et les formations des cadres et dirigeants de la fonction publique, désincarnant les acteurs, modélisant les situations, tout en vantant pourtant la souplesse, l’adaptabilité et la qualité de telles méthodes.

« Les grandes institutions de l’État sont conscientes de la dégradation des conditions de travail des agents de l’État, du déficit de reconnaissance dont ils souffrent. Les formations proposées aux fonctionnaires de catégorie A continuent pourtant à les préparer à de nouveaux renoncements à la qualité du travail, au nécessaire désengagement de l’État de nombreuses missions de service public. Les conséquences de ces politiques gestionnaires sont également évacuées : les risques pour la santé publique et pour l’environnement, par exemple. »

Cet appauvrissement de la pensée publique pèse sur la mise en œuvre des politiques publiques comme sur l’engagement de certains agents. Les managers ne disposent pas souvent de marges de manœuvre hors des protocoles d’action imposés, leur travail ne semblant plus évalué qu’au regard des dépenses engagées ou pas. Le travail, avec ce qu’il peut avoir de gratifiant, dans le relationnel par exemple, la perte de sens au travail peut alors générer démotivation ou mal-être.

La nouvelle loi Pénicaud n’encourage-t-elle pas les fonctionnaires à tenter leur chance dans le privé ? « Les jeunes énarques ont un stage obligatoire en entreprise, ce qui n’est pas scandaleux en soi, mais il semble désormais plus valorisé que les stages visant à se familiariser avec le fonctionnement d’une administration centrale, d’une préfecture, d’une institution européenne. Cela contribue aussi à saper la culture de service public, l’entreprise étant considérée comme un modèle indépassable. »

Recettes incontournables ou poudre de perlimpinpin ?

En retour, l’État se donne toute latitude pour aller encore plus loin dans le recours aux contractuels, y compris à des hauts postes de responsabilité, comme si le coût de la « prestation » comptait davantage que le travail accompli sur le long terme par les équipes. « Cette pensée décomplexée, grossière et choquante commence à disparaître dans ses expressions les plus voyantes, souligne Jan Martin. Le dialogue social et la prise en compte des risques psychosociaux émergent parfois, mais souvent quand les situations de travail se sont déjà dégradées. »

Laurent Laporte, cadre hospitalier et secrétaire général de l’Ufmict-Cgt, confirme : « Le souci du cadre hospitalier devrait être d’organiser les soins en fonction des besoins des malades, mais ce n’est pas du tout l’objectif qui lui est imposé ni pour lequel il sera évalué. Le new public management a pour critères prioritaires d’évaluation du travail le fait d’avoir gagné ou perdu de l’argent. Le cadre est instrumentalisé pour organiser le travail en fonction des postes et des moyens qui lui sont attribués. Depuis des années, son travail consiste à réorganiser des services déstabilisés en permanence par des suppressions de postes. On ne gère plus l’organisation du travail mais celle de la pénurie, du travail précaire. Le cadre doit désormais se conformer à une certaine “culture du risque”, choisir ce qu’il y a de moins dangereux pour la santé des patients, sacrifier une priorité pour une autre faute de moyens – rénover des locaux, remplacer un équipement ou demander des moyens humains par exemple. »

Les cadres ne veulent plus être de simples courroies de transmission

« On peut croire que les cadres auront tendance à faire ce que leur demande leur hiérarchie, et c’est dans l’intérêt des directions de les isoler, poursuit-il. Pourtant, quand ils prennent du recul sur les conditions de travail ou les moyens de mieux travailler, que nous échangeons sur les solutions pour contourner les mesures contraignantes, ils sont en mesure de s’investir autrement pour améliorer les situations de travail. Ils peuvent parfois arbitrer, en fonction de leurs moyens, sur les moyens de fidéliser les équipes, de veiller au temps de travail de chacun, d’embaucher, parfois. Bref ils peuvent agir en convergence avec les intérêts du collectif de travail, et même prendre toute leur place dans notre syndicat, à condition de leur donner la parole, et des responsabilités. Ils doivent se faire entendre sur leurs vécus et leurs besoins, y compris auprès de nous. »

Pour mieux travailler et rendre un meilleur service, il n’existe pas de solution miracle. C’est néanmoins possible en imposant davantage de dialogue et de démocratie dans les collectifs de travail, mais aussi avec les usagers. Les cadres ont nécessairement un rôle d’interface à jouer.

Marie-Jo Kotlicki, cosecrétaire générale de l’Ugict-Cgt, présente ainsi quelques pistes pour reconstruire collectivement d’autres relations au travail et pour repenser et redimensionner le service public :

« Pour la Cgt, défendre la fonction publique ne peut pas se faire sans les cadres. Il devient notamment urgent de gagner un droit de refus et d’alternative, garanti collectivement, qui permettrait à un cadre de dire non si on lui demande de prendre des mesures potentiellement nuisibles à l’intérêt général, du point de vue de la santé, de la sécurité des équipes ou des usagers, et ce sans être menacé de sanctions. Les cadres, comme les autres agents, doivent être protégés par un statut et un salaire fixes, qui ne dépendent pas de leur comportement ou de performances financières. Les outils du management et de l’évaluation doivent être mis en débat, le travail collectif évalué, la finalité du travail et sa qualité discutés. »

Un management efficace doit reconnaître les compétences de chacun et les utiliser au mieux, dans une logique réaffirmée de service public, accessible à tous, dans l’intérêt général. Porter une telle ambition d’efficacité sociale globale est un défi, le chantier s’avérant énorme mais, comme le souligne un intervenant dans la salle, « si l’État coûte trop cher, combien coûte le moins d’État ? ».

Valérie Géraud
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